Ils naissent d’un feulement léger, d’un simple courant d’air, d’une idée puis d’une autre, ils s’enchainent, se déchainent et m’emportent au loin dans leur danse insensée, dans une chaconne débridée où chacun appelle un autre et forment une suite qui jamais ne se tait.
Encore faut-il prendre garde à ne pas les brusquer, à les laisser filer sans les perdre ni les rompre, ne pas trop les serrer, juste l’espace, juste le temps, ce soupir, ce battement, ces petits bouts de rien qui régulent la chaîne et libèrent les phrases.
Mes textes sont indomptables, à chacun leur esprit, à chaque lettre son âme et mes doigts se déplacent pour en saisir la suite sans jamais n’y cerner ni début ni dessein. Alors, automate inspiré, je pose ces messages comme réceptacle des sens, dans l’oubli de l’essence.
Le ciel est bleu dehors, juste quelques moutons, un rai ocre dans le lointain alors que le train engouffre lieue après lieue, insatiable mangeur de rail qui zèbre la campagne d’un fuselage argent. Où est la poésie ? Elle est sur le faît des arbres que lèche une lueur du soir et en embrase la cime.
Cela commence de bon matin. On allume la bougie, s’assoit seul face à ce gouffre de lumière, se détend
Je suis l’inamovible, l’immortel, l’infini, celui qui plonge à l’horizon, celui qui grimpe à perdre haleine.
Je suis ce mont inexpugnable, ce Yama d’humanité et mes pensées s’y plongent et retombent sur ses flancs.
Je suis enfin, je suis ! Un instant de présent, un moment, dix minutes, le temps de reprendre le souffle de mes pensées, de mes idées, de qui je suis.
Je suis l’inamovible, l’imputrescible, celui qui est, celui qui fut, celui qui dure. Etrangeté de l’âme de se retrouver happé par cette image si inhumaine…
Reprendre l’habitude de ces moments de pause, de calme, d’apaisement
Je suis la colline, le mont venteux autour duquel s’accrochent les vents, les pensées.
Picotement des doigts posés sur les genoux, la flamme emplit ma vue, le feu apaise mon âme. Chancelant, je danse au vent. Mes pensées sont posées, calmées, apaisées.
Mais je ne peux construire, créer, devenir dans cet environnement où je ne sais où aller, que faire, les murs sont en papier, le calme qu’une apparence, fragile moment de paix sur un mont chahuté. L’équilibre est précaire, effort de chaque instant, pause agile dans l’air d’un temps qui s’étend, se déforme et menace chaque instant d’emporter avec lui la sculpture immobile.
Cairn humain, mobile de Calder, je ploie, souffre, me déforme, m’adapte et me déploie. Le changement doit être, la vie doit s’imposer et porter avec elle un souffle, une espérance.
Avançons, doucement, à pas feutrés, avançons et dans le vent, dessinons avec nos corps des volutes de fumée, des instants d’éternité.
Sous ses doigts ressentir sa peau, fermer les yeux et relâcher la vie qui s’accroche aux paupières. Se laisser flotter le long des rives et n’avoir de son corps que le bout de ses doigts, dix nuages qui m’effleurent et qui dansent.
N’être plus qu’une vapeur, qui s’étire, se relâche et laisse une douce torpeur prendre contrôle de ses frontières…
Souvenir d’un instant de volupté dans des plages de coton...
La danse commence doucement, on avance à pas lents. Reprendre ses marques est grisant, comme si elles n’avait jamais disparues, vestiges si récents d’un passé remisé le temps d’un petit somme. Les retrouver rassure, cajole une âme en peine, des sourires, des attentions, des mines concernées pour un bien être qui chancèle déjà…
Fébrile, on pose le pied et reprend sans mégarde les passages oubliés. La mélodie se presse, accélère sans mot dire, l’ivresse d’un renouveau confortant, rassurant. Les sujets fusent de part et d’autre, l’intellect s’en saisit, les digère, les amplifie et s’insère sans crainte dans un engagement de plus. Sitôt qu’on s’en étonne, il est déjà trop tard, englué à la toile d’une habitude trop ancrée…
Puis viennent les insomnies, le cerveau qui explose écrasé par la charge. Puis viennent les instants de folie où l’être rejette tout, où l’âme s’enfuit dans sa forêt des songes à l’abris de ce monde qui la broie sans raison. De l’air, du vent, du calme, rendez-moi le silence, l’abandon et l’oubli !
L’année fût une épreuve, chamboulant tout, renversant sur son passage, ces digues, ces rochers, ces petits rituels de rien posés là pour étayer mon psyché.
Oubliés les réveils matinaux, adieu le thé vert et bonjour au café fort pour faire lever les morts. Où est-il cet instant, ce moment quotidien où les pensées défilent, s’organisent, cette méditation active reprise de la veille, des actions, des idées qui me passent en tête et s’étalent sitôt sur les feuilles de papier ?
Le yoga s’est éteint, toutes ces choses qui m’aidaient, pschiit, ffffuit, plus rien tout s’est envolé me laissant sans armure, sans plus rien pour apaiser mon âme.
Prendre conscience, voir tout cela sans retenue, sans faux semblant et faire face, voilà le premier acte pour reprendre ces instants, ces minutes matinales égrainées dans le temps, ces morceaux de moi-même arrachés, oubliés qui m’appelle d’outre-tombe.
Et de reprendre les rituels, ces petites ritournelles qui jalonnent chaque journée et rappelle le beau, le bon, la joie, la gaieté dans un esprit chagrin.
Comme une hygiène de vie, comme ces marottes qu’on délaisse sans trop savoir pourquoi mais qui un jour nous manque sans autre raison que d’en sentir le manque auprès de soi, au fond de soi…
Alors reprendre la plume, la course d’un jet d’encre numérique sur un papier LCD, reprendre la marche et quitter l’espace d’un esprit trop encombré pour coucher par l’écrit l’ensemble de mes idées, l’espace de mes pensées.
Alors ressusciter les morts, les rappeler à soi, reprendre à incipio et poursuivre l’allée sous l’ombre des tilleuls, de ces odeurs familières qui forgent un caractère et laissent au creux de l’âme la sensation douce amère d’un souvenir d’enfance depuis longtemps envolé mais redonne au présent les rires du gosse idiot qu’on fût un jour.
Un moment de douceur sur un bord d’éphémère, voilà ce qui me manquait dans ce monde si bruyant, si fragile, si violent qui me broie… Alors je sauverai mon âme en la mettant ici bas dans ces capsules inertes !
Rassure-toi, je ne pleurerai pas, tu me l’as fait promettre voici 6 mois de cela. Tu n’étais pas là et c’était déjà un pilier qu’on enlevait de mes fondations. Aujourd’hui on retire le dernier, j’espère que la maison est solide, nous verrons…
Mes souvenirs sont biens confus, autrefois la Mamy stricte du brossage de quenottes obligatoire, de la marche digestive imposée. Les vacances chez toi avaient par moment des avant-goûts de service militaire ponctué de ces morceaux de chocolat distribués avec malice.
Avec l’âge les souvenirs se meuvent et peu à peu le Caporal Quenotte a cédé la place à ma Mamy sourire, ma Bonnemine, ma mimine, toujours à vouloir sourire à la vie. Tu étais la Mamy tarte au thon, framboisier, guignolet et – il va sans dire – pain-beurre-chocolat ! On devrait l’écrire sur le marbre celle-là, on y est tous passés, on y a tous gouté, on l’a tous plébiscité.
Alors pour tout le monde, c’est pas compliqué, vous prenez du Lindt au lait (les marques c’est important avec toi) comme tu l’aimais, vous le rapez avec le couteau en morceaux inégaux (oui ça fait partie du plaisir), vous prenez du Plantafin (oui c’est pas du beurre mais c’était comme ça chez toi et le goût est inimitable) et une baguette fraîche (une vraie baguette, le goût du pain, du vrai, du bon, tu l’avais dans le sang), pour l’assemblage, rien de plus facile, on met une belle couche de margarine sur une belle tranche de pain et on l’écrase avec doigté sur l’assiette remplie de copeaux de chocolats. Succès garanti, le Nutella tu ne connaissais pas !
Chez toi, c’était confiture de griotte, fruits de saison et bon pain, sourire de rigueur, joie de vivre et bonne chère. On y mangeait bien, ma gourmandise doit venir de là.
Oui, oui, je sais Mamy, j’en ai un peu trop profité dernièrement… Je vais faire un effort, promis. Regarde déjà, j’ai pris un peu de couleurs en Bretagne ! C’est pas comme les cousins, toujours hâlés… Qu’y puis-je si je suis tombé du côté cérébro-maladif de la famille ?
Non, non, je ne me plains pas, ne pas se plaindre… jamais… c’est IN-TER-DIT ! Ah ça, la fin a été pénible pour toi, cela devenait difficile de ne pas t’attrister en te voyant diminuer jour après jour.
Chez toi c’était Sardou, 4-21, rigolades et magazine de la santé, non que les sujets t’intéressaient particulièrement, mais bon il faut avouer qu’il était tellement drôle Michel Cymès. C’est comme la carte aux trésor, c’était beau tous ces paysages, le reste n’avait que peu d’importance. Voilà ta marque de fabrique, ne te prends pas au sérieux, regarde le beau, profite du drôle, et avance malgré les épreuves.
Car les épreuves, tu en as eu ton lot… Fille cadette d’une grande famille, ils sont tous partis l’un après l’autre, ton mari aussi, t’offrant une troisième vie bien remplie, les voyages, les sorties, et puis Papy et Mamie aussi. Elle, elle t’en a fait un coup ; c’était il y a 6 mois, deux jumelles aussi contrastées que Janus. Encore une fois tu étais la cadette mais de peu… Certes, tu rigolais mieux avec Papy mais lui ça fait longtemps, il est vrai qu’on ne l’oublie pas facilement ce pitre selon Saint Mathieu.
Ton divan c’était la table de la cuisine, on y partageait tout, la boisson, les confidences, les souvenirs, les tartes aux abricot. Ah ça, si les murs pouvaient parler, cette pièce serait un hall de gare.
On y a partagé jusqu’au bout… Vers la fin tu n’étais qu’une petite brindille mais toujours le sourire aux lèvres, de plus en plus crispé, la vie n’était plus drôle. Plus de jardin, plus de télé, plus rien… Toi qui avait fait de ta vie un mouvement incessant, tu ne pouvais plus rien, n’avais plus goût à rien. Cette pensée qui t’assaillais jour après jour s’est enfin tue, et te voici enfin en paix.
Malgré ma promesse, tu n’empêcheras pas ma tristesse. Tu resteras mon rayon de soleil, ma mimine…
J’avance dans le noir, trébuche, vacille et continue la marche. Ici nul cafard, juste la triste réalité d’une vie sans objet. Finies les espérances, oubliées les souffrances des actes inachevées, sabordés ou volés.
Dans cet aller sans retour d’une vie sans raison, je vais serein, j’avance attentif à ces petits moments, ces petits riens qui chaque pas faisant offrent au quotidien ses petites joies, ses émerveillements de l’enfant.
Mais la nuit est bien sombre et sans objet, je erre et poursuis ma route sans la voir ni la cerner, pour seul certitude une fin tardive ou prochaine. Qui sait donc ce que demain me réserve ?
Alors j’avance, zombie qui s’ignore, j’avance et parfois me réveille de ce songe de vivant, et parfois vois la folie dans cet quête sans but si ce n’est la fleur du chemin. Est-ce là déraison ou sagesse ?
Est-ce là douce folie qu’un monde où l’oubli donne la lumière et les buts posent les chaines ? Dois-je me réveiller ou bien accepter cette condition humaine qui impose les questions et refuse les réponses ?
Seule certitude, ce choix incessant, l’embrasement de l’âme qui désir qu’on s’en saisisse et qu’on tranche pour la vie, l’engagement alors même que tout ceci semble si vide, si creux, si limité… Dormir !