Les volutes s’élèvent dans la pièce, brins de fumée évaporés.
La bruyère au bec, je suis assis dans le fauteuil. Salon tamisé, musique baroque et le chat sur les genoux. La pipe c’est un moment de calme, ça n’a rien à voir avec cette clope qu’on arrache au temps entre deux rendez-vous, petit moment volé, sas de décompression d’un vie à mille à l’heure. La bouffarde se mérite, on doit y consacrer du temps, s’arrêter vingt minutes, préparer le brûle gueule, le bourrer, l’allumer, en tirer quelques bouffées.
Profiter de la première, comme d’une première gorgée, tout est là et ne subsiste pas. La première c’est un moment spécial, le palais encore vierge, les odeurs décuplées. On se laisse apaiser, l’odeur est douce amère, coussin de fumée qui envelope la langue. Pas question d’avaler, la pipe ça se recrache, se crapote doucement. Nul odeur âcre du papier, tout n’est que feuille de tabac à l’humidité contrôlée.
Je m’y suis mis le temps d’un confinement. Alors je venais de perdre ma grand mère maternelle (la seconde ne tarderait pas à la rejoindre mais je ne le savais pas encore) et dans la vieille maison qu’il nous fallait vider, je retrouvais ses pipes. Cela faisait 11 ans qu’il nous avait quitté et rien n’avait bougé. La nostalgie me cueillit, vieille amie qui veille sur mon épaule.
Sitôt rentré, j’achetais de l’Amsterdamer et allumais ma première écume, celle qui trônait au coin de l’âtre dans ce bureau où l’aïeul s’attablait sur un courrier et où je veillais le feu. Trop fort, trop amer, la tête qui tourne, l’odeur trop lourde, je ne pus la finir, ni tirer quatre bouffées mais l’odeur résista, rappelant avec elle ces moments du passé oubliés, enfouis dans les méandres de l’enfance.
Des retours en voitures où papy fumait sa pipe et mamie s’alarmait de l’odeur trop présente, des après midi d’hiver où seuls tous les deux dans la pièce du fond, il allumait sa pipe face à la cheminée en me parlant de son enfance.
Souvenirs si lointains du fond des années 90, il n’avait plus touché la pipe depuis son infarctus, alors j’étais en 3ème. La mémoire est prodigieuse qu’elle ramène au présent un passé si ancien qu’il se perd dans le temps.
Depuis j’y ai pris goût, une fois de temps en temps, un blond de Virginie aux doux pétales de rose, une odeur plus subtile, moins têtue, plus sucrée sur un coin de journée quelques fois dans l’année. Une pipe taille enfant aux rayures de matelot, mais une bruyère Chacom acquise un jour d’été dans mes terres natales.
Les volutes s’envolent, la fumée effacée mais l’odeur subsiste d’un foyer oublié…